Reformulation du projet en octobre 2016
Dans le cadre d’un cours obligatoire du département de Littérature comparée (LCO6000), il était demander de formuler en quelques pages notre projet de thèse en respectant le formalisme propre au « dossier de synthèse » (j’en reparlerai), à savoir :
- Problématique
- Cadre théorique
- Méthodologie
- Justification du corpus
- État de la question
- Pertinence
- Bibliographie
Cet exercice a été l’occasion de revisiter le projet initial proposé à l’école doctorale de Nanterre puis au département de Littérature Comparée de l’Université de Montréal. Dans cette nouvelle formulation, je tente d’introduire un peu plus de littéraire, de manière assez maladroite encore, mais aussi d’avancer dans la formulation d’une problématique.
C’est la première fois qu’intervient aussi clairement dans mon projet la question de l’institution, qui sera plus clairement formulée dans cet autre exercice. C’est une problématique qui m’est venue lors du séminaire d’avril 2015, et que je re-formulais ainsi : « est-ce que le web et ses normes d’édition/publication ne sont pas en train de court-circuiter celles des institutions dans leurs dispositifs d’édition, c’est-à-dire le dispositif au cœur de l’institutionnalisation du savoir. » Voir l’extrait vidéo
Dans le texte ci-dessous, je me focalise sur les institutions littéraires, avec le peu de maîtrise que j’en ai. Il s’agit donc d’un ballon d’essai pour réfléchir notamment la relation entre problématique et corpus, davantage que d’une volonté d’acter un corpus.
Je me pose réellement la question du corpus pour la première fois. Pour les doctorants en littérature (mon environnement immédiat), le corpus est le point de départ de la thèse. Je suis souvent dans l’embarras lorsque j’annonce ne pas avoir de corpus, et je m’en sors en suggérant que les étudiants inscrits en thèse de littérature sont potentiellement des “terrains d’étude” pour ma recherche. Ce qui est exact jusqu’à un certain point. Ce point, c’est la littérature, le fait littéraire, que je touche du doigt depuis mon arrivée au(x) département(s) de littérature de l’Udem, mais que je ne maîtrise pas suffisamment.
Je dois malgré tout que identifier un corpus, j’y reviendrai sans doute très bientôt.
Il faut donc lire ce texte comme un exercice et non comme “mon projet de thèse”, un exercice qui m’a fait progresser et m’a aiguillé vers cette autre formulation, plus courte, mais plus satisfaisante.
Projet de thèse - 11 octobre 2017
Problématique
Mon projet de thèse s’intéresse aux relations qui se tissent entre l’institution et ses dispositifs de production de contenus à l’ère numérique. Plus spécifiquement, la littérature et la recherche littéraire se constituent en tant qu’institutions sur la base de pratiques et de dispositifs porteurs de valeurs, telles que l’auteur, l’autorité, le texte, ou encore l’évaluation et la critique. Le tournant épistémologique du numérique vient questionner ces valeurs et met en crise les institutions littéraires (tant l’académie que la littérature elle-même). Ces institutions sont en effet confrontées, en leur sein, à une hybridation de pratiques savantes et non-savantes, générées par les nouveaux dispositifs numériques d’écriture et de lecture. Face à ce nouveau paradigme épistémologique, les institutions peuvent-elles encore exister, et quelles stratégies d’institutionnalisation peuvent-elles adopter vis-à-vis de ces pratiques et dispositifs qui les court-circuitent ?
Cadre théorique
Nous nous inscrirons dans le domaine théorique des humanités numériques à deux niveaux. Premièrement sur le plan disciplinaire et méthodologique en investissant les outils numériques et les protocoles associés, propres à la transformation des champs disciplinaires, et notamment les études littéraires.
Deuxièmement, sur le plan épistémologique, en adoptant la position des « Études numériques » (ou encore Digital Studies) qui cherchent à appréhender le changement d’épistémé, au sens de Foucault, en étudiant les transformations à l’œuvre sur le savoir, les formes de production et de circulation des connaissances, et notamment sur les objets paradigmatiques du savoir : le livre, l’archive, le corpus. Du point de vue de ces études numériques, les études littéraires et les humanités en général, se révèlent autant de terrains de recherche.
Nous aborderons cette problématique en mobilisant la notion d’éditorialisation, qui peut notamment être comprise comme un processus d’édition numérique continu, c’est-à-dire ouvert dans le temps et dans l’espace, et qui permet de décrire les processus de production, de circulation et d’appropriation des connaissances dans l’environnement numérique. Dans la lignée des travaux de Bruno Bachimont et de Marcello Vitali Rosati sur la notion, il s’agira d’articuler la fonction institutionnalisante portée par l’éditorialisation pour penser cette tension entre pratique et norme dans le champs littéraire.
Nous mobiliserons également la notion d’intermédialité afin de saisir les jeux de relations et d’intersections entre les idées, les supports qui les transportent, et les contextes institutionnels qui les sous-tendent.
Pertinence et justification du corpus
Un premier objectif de recherche de la thèse consistera à évaluer le renouvellement des pratiques d’écriture et de lecture dans le champ littéraire pour en établir les rapports de continuité ou de substitution. Le second objectif sera de spécifier de manière théorique et pratique les dispositifs d’éditorialisation et leur fonction institutionnalisante constitutive d’une nouvelle épistémologie.
Nous considérerons pour cette recherche trois types d’objets interdépendants : une communauté d’écriture, les dispositifs d’écriture et de lecture qu’elle emploie, et les écrits qu’elle génère. Notre corpus d’étude sera ainsi composé par les écrits de deux communautés distinctes :
- dans le domaine littéraire, le collectif informel constitué autour de la figure fictive du général Instin et le corpus littéraire de cette œuvre collective entre 2007 et 2015,
- dans le domaine académique, l’équipe de recherche en lettres modernes « Hubert de Phalèse » au sein de l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, et le corpus académique produit sous le pseudonyme « de Phalèse ».
L’intérêt de ces deux corpus réside dans la variété des pratiques et des dispositifs d’écriture des deux communautés, mêlant à différents degrés recherche et fiction, ou création et expérimentation. Ces corpus sont disjoints d’un point de vue formel mais ils possèdent l’avantage d’éclairer d’une part la porosité des communautés du champs littéraire, et d’autre part l’hybridation des pratiques dans chacun de leur domaine.
Approche méthodologique
Cette double analyse de corpus et de dispositif procédera d’une approche mixte qualitative, quantitative et dispositive, en mobilisant les outils de textométrie, d’analyse de réseaux et études critiques. Cette triple approche a pu être testée en première année de thèse sur un autre corpus de littérature numérique, issue d’une expérience transmédia d’écriture fictionnelle collaborative, Anarchy1. Un des résultat de cette étude a été de tester l’intérêt de la démarche, tout en questionnant la faisabilité d’une généricisation de la méthode pour les humanités numériques en général2.
En parallèle et pour nourrir la réflexion théorique, j’envisage un volet expérimental avec la conception d’un dispositif prototypal d’écriture et d’édition qui s’appuiera sur résultats et les conclusions des travaux d’analyse. Ce volet prend corps au sein de la collaboration entre la CRC sur les écritures numériques3 et l’éditeur scientifique Érudit.
État de la question
Notre question se situe à l’intersection de plusieurs champs d’étude, mobilisant de nombreuses notions témoignant de processus complexes. Chacun de ces éléments sont à étudier à la fois dans l’ouverture sémantique des notions, et dans le contexte des situations particulières, que ce soit la notion de dispositif, les processus d’institutionnalisation, l’institution littéraire, les pratiques de lecture et d’écriture et le renouveau des lieux de savoir 4, le tournant épistémologique5 du numérique, ou encore l’écriture numérique.
Sur l’éditorialisation et sa fonction institutionnalisante toutefois, nous pouvons mettre en avant les travaux de Louise Merzeau qui s’efforcent de penser les pratiques d’écriture dans leurs effets constructifs (construction de collectif, construction d’un espace public, institutionnalisation), contrebalançant les effets de désintermédiation que peuvent générer les grands acteurs du numérique.
Cette thèse participe à l’avancement des connaissances à deux niveaux : d’une part sur la compréhension des pratiques de lecture et d’écriture dans l’environnement numérique, en pointant aussi bien les éléments de continuité que les éléments de rupture. Cette meilleure compréhension a pour premier effet de mieux saisir comment sont affectés les processus de circulation, de transmission et d’appropriation des écrits, et ainsi d’identifier des caractéristiques favorables pour les dispositifs d’éditorialisation qui prédisposent ces pratiques et favorisent les dynamiques de circulation.
Plus largement, en mobilisant la notion d’éditorialisation dans une approche pratique et théorique, la thèse participera à la stabilisation d’un concept clé pour l’appréhension du fait numérique. En effet, le concept d’éditorialisation a l’ambition d’expliciter le tournant épistémologique de la culture numérique, avec une portée à la fois théorique et pratique, notamment auprès des praticiens de l’édition numérique qui restent un pilier fondamental des institutions de savoirs.6
voir notamment (Sauret et Mayer, 2016), ainsi que le carnet de recherche http://nicolassauret.net/behindanarchy ↩
voir le billet Vers une méthode générique sur http://nicolassauret.net/behindanarchy/2016/08/26/vers-une-methode-generique.html ↩
Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques de l’Université de Montréal (http://ecrituresnumeriques.ca) ↩
en s’appuyant sur les travaux de Christian Jacob : Les lieux de savoir, tome 1 et 2 chez Albin Michel ↩
tel que l’envisage l’ouvrage collectif : Franc Morandi et Valérie Carayol, Le tournant numérique des sciences humaines et sociales, Publications de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2016. ↩
Ces deux derniers paragraphes ne figurent pas au rendu pour des raisons de format imposé, mais auraient pu s’insérer ici comme éléments de contribution scientifique. ↩