Hommage à Louise
Ma prise de parole lors de l’hommage «180 secondes pour Louise».
Louise était ma directrice de thèse, et bien plus. Notre histoire commence fin 2012 lorsque Louise nous contacte avec Sylvia Fredriksson et Nicolas Loubet pour écrire un article sur un dispositif que nous avions monté en marge des ENMI1. Pour Louise, ces premières discussions ont été le début d’une série d’articles2 dont le dernier en 2016 sur la rhétorique dispositive. Pour moi, c’était un tournant, une prise de conscience. Louise, en théorisant ce qu’on avait réalisé avec Sylvia, Nicolas et une trentaine d’étudiants, a généré une ouverture. C’était le terreau pour une proximité intellectuelle, une proximité d’idées, de projets, de collaboration, et le terreau finalement pour une thèse.
Je retiens de Louise son accueil chaleureux lorsque j’évoquais avec elle mon projet et une éventuelle codirection. Je n’avais pas encore mesuré ma chance.
Une lumière s’est éteinte, pour la communauté, pour ces multiples réseaux dans lesquels elle s’était investie, mais aussi une lumière particulière pour ses étudiants, avec qui elle entretenait une relation humaine et intellectuelle très investie. Nous perdons un ancrage, un pilier, une lectrice, notre première lectrice, celle à qui on s’adressait en écrivant. Je pense à toutes ces questions qui resteront sans réponse. Questions qu’il faut transformer en autant d’impulsions à poursuivre notre travail, dans le sillage du sien.
Je retiens de Louise-directrice-de-thèse une très grande confiance, mais aussi un investissement qui venait contredire le semi-mythe du directeur absent, inaccessible, qui ne lit jamais les travaux. Combien de doctorants peuvent se targuer d’avoir pu improviser une journée entière d’intense réflexion avec son directeur ? Louise faisait ça, ça se passait chez elle, rue des Pyrénées, la thèse n’avait pas commencé, et je m’en rends compte aujourd’hui, c’était sa façon d’initier plusieurs années de projet et de collaboration, sa façon de me mettre sur des rails, où chaque mot pesé ensemble avec soin préfigurait une piste et une direction. Nous avons perdu notre lectrice, mais nous n’avons pas perdu notre direction.
Dans un autre registre, plus récemment, je me souviens de Louise les pieds dans l’eau tout simplement, sur une plage de Normandie. C’était en juin dernier, nous étions en colloque à Cerisy pour la semaine, et après une journée particulièrement intense de chaleur, nous sommes partis sur un coup de tête à trois avec une collègue de Montréal, partis voir la mer, se tremper les pieds et se rafraîchir. Quelques instants de liberté dans le carcan que peut être Cerisy. Louise nous avait raconté ses origines, sa maison en Charente, sa passion pour les baleines. Avec Marcello Vitali-Rosati, nous l’avions invitée à Montréal pour une conférence cet automne et elle comptait bien en profiter pour aller voir les baleines sur le Saint-Laurent.
Marcello d’ailleurs se joint à nous et profite de mes 3 minutes pour exprimer toute sa reconnaissance à Louise.
Pour finir, je retiendrai de Louise sa liberté intellectuelle, sa capacité à bousculer les cadres, un savoir-être-chercheur et un engagement qu’elle appliquait dans chacun de ses réseaux, et qui s’incarnait, je crois, dans ce souci permanent du collectif, une rhétorique du commun, ce qu’elle appelait «reconstruire le nous».
Il faut maintenant reprendre à notre compte ce magnifique projet, pour que la recherche s’inscrive aussi dans les urgences du monde.
À Bientôt Louise.
Les entretiens du nouveau monde industriel - http://enmi-conf.org/ ↩
- Louise Merzeau. « Éditorialisation collaborative d’un événement ». Communication et organisation, no 43 (1 juin 2013), 105‑22. <doi:10.4000/communicationorganisation.4158>
- Louise Merzeau. « Entre événement et document : vers l’environnement-support ». Les Cahiers de la SFSIC, Société française des sciences de l’information et de la communication, 2014, pp.230-233. http://www.sfsic.org/index.php/services-300085/bibliotheque/publications-de-la-sfsic/720-cahiers-de-la-sfsic-nd9-janvier-2014. <halshs-01323224>
- Louise Merzeau. « Le profil : une rhétorique dispositive ». Itinéraires. Littérature, textes, cultures, Pléiade (EA 7338), 2016, Ethos numériques. <10.4000/itineraires.3056>. <halshs-01340897>